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Agil-Dogs

Le jeu de « souque à la corde » par Jean Lessard

19 Novembre 2009 , Rédigé par Claire Publié dans #Psycho - philo et coups de dents !

Ce qui suit est un article publié par Jean Lessard pour une revue québécoise, qu'il m'a proposé en réponse à mon article précédant [Jeux ! ] et qui est reproduit ici avec son aimable autorisation.




Jouer ou ne pas jouer à Tug of War (tirer à la corde) avec son chien ?

Par Jean Lessard


 

Tirer sur une corde ou sur un objet est un jeu que beaucoup de chiens adorent. Ils tirent du plus fort qu’ils le peuvent, voulant obtenir la chose pour eux seuls, s’enfuyant avec pour pouvoir la mâchonner à leur guise ou revenant vers nous pour recommencer encore et encore. Ils tirent, secouent, mordent à belles dents et semblent s’amuser comme des fous. On voit même très souvent des chiens qui jouent naturellement entre eux à tirer sur une corde et où le « gagnant » reviendra vite proposer à l’autre de recommencer.

 

Pourtant, combien de fois avons-nous entendu dire qu’il ne fallait pas encourager ce type d’interactions ? Que ce jeu était néfaste et pouvait même être dangereux et rendre notre chien agressif…

 

Pour en avoir le cœur net, j’ai demandé à d’éminents spécialistes ce qu’ils en pensaient.

 

Kathryn Lord suit les traces de Raymond Coppinger, son professeur et mentor. Elle est au département de biologie de l’université du Massachusetts, à Amherst, aux États-Unis.

 

Voici ce qu’elle pense de ce jeu de « souque à la corde » :

 

« Si votre chiot ne montre pas souvent les comportements de prendre, secouer et détruire et qu’il ne devient pas surexcité lorsqu’il le fait, il n’y a pas de problème à jouer à la souque à la corde. Ce jeu ne provoquera pas d’agressivité, ni l’éveil d’instincts telle la prédation, mais renforcera ce qui est déjà présent. Par contre, si on constate une augmentation dans la fréquence (le chiot veut jouer de plus en plus souvent) et l’intensité (il est de plus en plus agressif) ainsi qu’une surexcitation pendant le jeu, il faut se demander si cela peut devenir un problème plus tard.

 

Je dirais que si un chiot âgé entre quatre et neuf semaines démontre déjà avec intensité beaucoup de comportements de prédation comme attraper en gueule, secouer et déchirer (détruire), nous ne devrions pas « encourager » (dans le sens de renforcer par conditionnement) ces agissements. Autrement dit, ne pas répondre à ses demandes de jeu. Ceci vaut pour tous les types de jeu.

 

En général, nous devons placer le chiot dans des situations où il produira des comportements que nous voulons encourager et que nous accepterons aussi lorsqu’il sera adulte. Par exemple, les éleveurs de border collies destinés à garder les moutons ne leur enseignent pas le rapport d’objet. Ils ne veulent pas les encourager à chasser et prendre en gueule. Mais pour la majorité des propriétaires de chiens, ceci n’est pas un problème, au contraire. Donc ils peuvent très bien l’enseigner à leur chien. »

 

Simon Gadbois, du département de psychologie et neuroscience de l’Institut de Neuroscience du Life Sciences Centre de l’université de Dalhousie, à Halifax en Nouvelle-Écosse est encore plus vindicatif à ce sujet :

 

« À mon avis, si un chiot a une prédisposition pour des comportements agressifs, ce n'est pas un jeu de souque à la corde qui va déterminer si le chien devient la terreur du voisinage, ou s'il utilise les cordes comme soie dentaire. Le jeu, même le play fight (jeu compétitif, de bagarre) est toujours positif chez les chiens, même chez les loups, coyotes, etc. Il vaut mieux, à mon avis, se préoccuper de la socialisation et être attentif aux comportements anormaux ou indésirables durant cette période critique (avec les humains, les chats ou les autres chiens) que de se rendre fou à toujours se demander si on vient d'activer l’interrupteur de l’agressivité. Même si une prédisposition agressive était déjà en place, s'engager dans ce jeu ne peut qu’avoir un effet minimal.

 

Évidemment, si un chien a tendance à perdre la boule durant le jeu (n’importe quel jeu, incluant la souque à la corde), il faut intervenir. Mais la seule façon de savoir si on a un tel chien, c’est de jouer avec lui… Et je le répète : même si le chien a une prédisposition héréditaire à l'agression, l'impact ne sera pas si grand. »

 

Voilà qui nous éclaire un peu, non ? Il n’y a aucun problème à jouer à la souque à la corde avec un chien, à moins que cela ne le rende complètement dingue et qu’il perde le contrôle. Et il est bon de savoir que ce jeu ne peut pas faire naître de l’agressivité ! La seule chose qui pourrait être nuisible serait de stimuler des comportements agressifs déjà présents, renforcés par ce jeu, ce qui aurait pour effet de les augmenter chaque fois. Mais là-dessus, voici une autre précision de Gadbois :

 

« Le problème le plus fondamental est le suivant: Parce que le « zeitgeist » actuel est de ne jamais intervenir de façon négative (par exemple, à l’aide de punitions, même si très douces, comme élever la voix), le choix des propriétaires de chien est simple: ne provoquer aucun comportement indésirable (malgré le fait que ce soit partie intégrante de l'apprentissage que de se faire corriger, et j'écris « corriger » dans le sens « doux »). Ce qui est dommage, à mon avis, c'est que le chien qui a peut-être un seuil d'excitation (agressive ou pas) un peu trop bas, qui s’excite facilement, en d’autres mots, ne se fera jamais « dire » qu'il ne peut exprimer ces comportements. Ce « tout ou rien » est regrettable, car certains propriétaires ne jouent plus avec leurs animaux par peur de réveiller ces prédispositions. »

 

Effectivement, voilà autre chose : on ne permet plus à nos chiens beaucoup d’agissements de peur qu’ils ne dégénèrent plus tard en agressivité. Cette crainte de l’agressivité nous amène à restreindre l’expression de toutes sortes de comportements, souvent même tout à fait normaux. Nos deux spécialistes sont assez clairs là-dessus : c’est en période de socialisation que nos chiots apprennent à jouer, entre autres choses. C’est à ce moment que nous devons leur enseigner ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Le chiot doit apprendre le contrôle et la régulation de ses séquences d’actions physiques. Le jeu lui permet cela ; c’est en jouant qu’il apprend. Il comprendra ainsi comment agir afin d’obtenir ce qui motive son comportement : le plaisir accompagnant le jeu.


Nous le faisons avec nos enfants ! Un jeune qui serait toujours mauvais perdant et qui lancerait partout les accessoires d’un jeu de table, par exemple, chaque fois qu’il se sentirait menacé de perdre aurait tout à gagner si un adulte responsable entreprenait de lui apprendre à jouer ! À l’opposé, ce qui serait vraiment néfaste dans cette situation serait d’interdire le jeu à l’enfant. Il se verrait empêché d’assimiler des règles de base de la vie en société. Comme les chiens, c’est par le jeu que nous apprenons, nous-mêmes, beaucoup de choses sur la vie…

 

N’empêchons pas, permettons. Empêcher des apprentissages aussi essentiels à une vie sociale agréable et donc plus enrichissante, c’est amputer les chances d’épanouissement de l’être en devenir qu’est notre chiot… Ou notre enfant.

 

Pour ma part, j’ai enseigné ce jeu de souque à la corde à ma chienne Dali… Alors que j’étais étendu dans un hamac ! Quelle joie ! Nous faisions ainsi d’une pierre deux coups : elle s’amusait tout en dépensant beaucoup d’énergie et moi je me laissais doucement bercer tout en relaxant…  Nous partagions deux bonheurs distincts par une même action !

 

Allez ! Jouez ! Et soyez bons pédagogues.

 

 

 

 Kathryn Lord était conférencière invitée au Chienposium 2005. Lors de sa conférence, intitulée : Le développement du comportement chez le chien (Canis lupus familiaris) et chez le loup (Canis lupus), elle nous a permis d'explorer les différences de développement du chien et du loup et surtout les conséquences probables de ces différences sur leur comportement adulte.

Raymond Coppinger est le co-auteur de l’excellent livre : DOGS: A Startling New Understanding of Canine Origin, Behavior and Evolution, publié chez Scribner, NY, 2001.

Simon Gadbois nous a aussi fait l’honneur de sa présence lors d’un Chienposium; celui de 2007, alors qu’il réagissait à l’effet que nous devrions traiter les chiens comme des loups dans sa conférence intitulée : Chicane d’héritage. Il a aussi été présent pour la neuvième édition du Chienposium, en mars 2009.

Zeitgeist : L’esprit d’une époque, le goût du jour, la mode.


 



 

Jean Lessard est éducateur canin et comportementaliste affilié à l’Hôpital Vétérinaire Rive Sud. Journaliste, auteur et conférencier, on peut lire ses chroniques dans les magazines et l’entendre à la radio et à la télévision.

Il a publié Comme un chien chez Le Jour, éditeur et collaboré aux ouvrages La Zoothérapie, une thérapie hors du commun, publiée aux Éditions Ressources et Comportement chez le chien et le chat; observer, comprendre, modifier, publié aux éditions CCDMD.

Il a mis sur pied le Chienposium, premier et unique symposium annuel francophone en obéissance et en comportement canin en Amérique, a fondé le programme de formation professionnelle en zoothérapie (PFPZ) et le CIZ (congrès international de zoothérapie).

Il dirige le programme de zoothérapie Grandir avec Maggie dans une école primaire de Montréal.

 

 

Son site : www.jeanlessard.com


Son blogue : www.leducateurcanin.wordpress.com


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